Avec l’extension du néolibéralisme, de plus en plus de pays ont abandonné une partie de leur capacité à produire localement leur nourriture, misant sur les marchés mondiaux. La France n’est pas épargnée : son agriculture vivrière recule tandis que les importations augmentent. Une dynamique qui, si elle se poursuit, pourrait fragiliser durablement notre capacité à nourrir la population tout en creusant les inégalités, ici comme ailleurs.
Bien que la France soit en capacité physique de nourrir 130 % de sa population, dans les faits, elle achète bien 20 % des denrées finies qu’elle consomme. Un chiffre qui grimpe même jusqu’à 70 % pour les fruits. Et les statistiques s’emballeraient sans doute davantage si l’on prenait en compte la part d’importation utilisée pour alimenter nos animaux. Simultanément, les exportations continuent d’augmenter (la production de 43 % des terres françaises part à l’étranger) pour préserver un système capitaliste libéral.
Mr Mondialisation vous présente cinq raisons de lutter contre ce phénomène. L’objectif d’autonomie alimentaire ne vise pas à se refermer sur soi-même, ni à exclure les échanges internationaux, mais à garantir une alimentation saine, locale et durable pour tous, dans une logique de justice sociale et environnementale. Cette démarche se distingue fondamentalement des visions nationalistes ou identitaires.
1. Garantir notre autonomie alimentaire
Produire une grande part de notre nourriture en France, dans le respect de la transition écologique, permettrait de répondre aux besoins essentiels de la population, même en cas de perturbations mondiales.
Il ne s’agit pas de se couper du reste du monde, mais de construire une résilience collective, dans un esprit de coopération avec d’autres pays, notamment ceux du Sud global, en respectant leur propre souveraineté alimentaire.
2. Un contrôle démocratique sur nos modes de production
Une production relocalisée permettrait aussi de démocratiser les choix agricoles : en soutenant une agriculture paysanne, agroécologique, respectueuse de la biodiversité et des travailleurs. Contrairement aux logiques de repli ou de préférence nationale, cette approche défend une alimentation accessible à toutes et tous, sans discrimination, et solidaire des luttes agricoles dans le monde.
Il serait possible de limiter la quantité et la qualité de production animale, l’utilisation des pesticides, mais aussi la rémunération des agriculteurs. Enfin, la relocalisation permettrait de même de conserver nos savoir-faire et de lutter contre l’uniformisation de la nourriture.
3. Pour la planète et les droits des peuples
Produire en France répond aussi évidemment à une problématique écologique. Ainsi, près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre dues à notre nourriture est engendrée par nos importations. L’acheminement des denrées alimentaires venues de l’étranger génère à elle seule, pas moins de 12 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de ce que cause intégralement un pays comme la Lettonie.
Au-delà de la question du transport, garder le contrôle sur son agriculture permet aussi d’adopter des façons de faire plus respectueuses des sols, de la biodiversité ou des cycles de l’eau, notamment en mettant un frein à l’utilisation des produits phytosanitaires.
Importer massivement nos denrées génère des émissions colossales de gaz à effet de serre et contribue parfois à la destruction d’écosystèmes essentiels, comme la forêt amazonienne. En visant une autonomie alimentaire, la France peut aussi cesser d’externaliser les coûts écologiques et sociaux de sa consommation vers d’autres pays, notamment ceux dont les populations sont exploitées par les circuits agro-industriels mondiaux. Il s’agit de repenser notre place dans une économie mondiale plus juste.
4. Se reconnecter à nos territoires, pas à nos frontières
À force d’importer depuis l’autre bout du monde, parfois dans des conditions désastreuses, beaucoup d’entre nous ont oublié que la production alimentaire était, en principe, soumis à une certaine saisonnalité. Manger des fraises au mois de décembre en France n’a, par exemple, rien de normal ni de souhaitable.
Redécouvrir la saisonnalité, les terroirs, les savoir-faire locaux, c’est retrouver une alimentation ancrée, plus résiliente, plus consciente. Ainsi, les fruits et légumes qui viennent de l’autre bout du monde, ou diverses denrées comme le cacao ne devraient sans doute plus être considérés comme des aliments du quotidien, mais bien comme des exceptions. De la même manière, la nourriture ne représente pas qu’une simple ressource matérielle, mais elle est également une part du vivant prélevée dans nos écosystèmes qu’il devient crucial de respecter et de consommer avec raison.
Valoriser le local ne signifie pas exclure l’ailleurs : il s’agit de mieux équilibrer nos choix alimentaires, tout en continuant à accueillir la diversité culinaire et culturelle comme une richesse, issue aussi des échanges humains et migratoires.
5. Rompre avec le néolibéralisme
Le modèle actuel privilégie des chaînes d’approvisionnement longues, opaques, et fondées sur l’exploitation de la main-d’œuvre et des ressources des pays les plus pauvres. Relocaliser notre agriculture est aussi une façon de rompre avec le capitalisme néolibéral.
Importer des aliments que la France pourrait concevoir elle-même s’inscrit, en effet, dans une méthode coloniale où des salariés étrangers de pays pauvres sont exploités pour réduire les coûts de consommation des Occidentaux.
Pourtant, en ramenant notre production en France, il serait tout à fait possible de contrôler les prix des denrées et ainsi de rémunérer les agriculteurs de manière digne. Un indispensable pas à franchir pour basculer vers un monde plus éthique et surtout soutenable sur le long terme.
L’autonomie alimentaire n’est pas une fermeture aux autres pays, mais un moyen de sortir des logiques d’exploitation héritées du colonialisme. Elle doit s’accompagner d’une solidarité active avec les agricultures paysannes du Sud, de politiques de coopération équitable, et du respect des droits humains partout.
– Simon Verdière
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